La Ligue Internationale de Femmes pour la Paix et la Liberté (WILPF) est très préoccupée par la situation des droits humains des femmes en République démocratique du Congo.
La propagation de la violence sexuelle contre les femmes a été si élevée qu’elle a réveillé la préoccupation de plusieurs organismes de l’ONU, tel que le Comité de la CEDEF et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH), qui a formé un panel spécial d’experts en 2010 pour mener à bien une mission dans le pays dans le but d’analyser ce sujet du point de vue des survivantes elles-mêmes.
La violence sexuelle étant un phénomène endémique existant de par le monde, aussi bien en temps de paix que de conflits, qui est profondément lié à la discrimination contre les femmes, il est important de s’attaquer aux causes racines pour la combattre.
MULTIPLICITÉ DE FACTEURS
Nous souhaitons souligner la multiplicité de facteurs qui ont un impact sur la violence sexuelle et nuancer le débat pour l’éloigner d’une approche simpliste limitée au conflit, qui reste néanmoins une source d’insécurité et un facteur important.
Comme signalé par le Rapport du HCDH sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat en République démocratique du Congo (A/HRC/19/48): «Outre la nécessité d’un renforcement de la réaction de l’État face aux cas de violences sexuelles, il y a celle de s’attaquer aux causes profondes de ces violences, notamment la position socioéconomique précaire et désavantagée qu’occupent les femmes au sein de la société congolaise», l’inégalité des sexes en particulier dans la prise de décisions, la dépendance économique, la sous-représentation politique, la prolifération d’armes de petit calibre, l’insécurité et l’impunité.
Les causes multiples qui sont aux racines de la violence sexuelle et les liens entre «comportements, coutumes, pratiques, stéréotypes et rapports de force préjudiciables» parmi d’autres facteurs, ont été soulignés par la résolution du Conseil des Droits de l’Homme A/HRC/23/25 sur l’Intensification de l’action menée pour éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes: prévenir et lutter contre le viol et les autres formes de violence sexuelle.
PAUVRETÉ
Les dangers qui découlent de la situation de conflit sont exacerbés par les conditions préexistantes de pauvreté et d’illettrisme parmi les jeunes femmes, ainsi que la dépendance économique des jeunes femmes, l’insécurité, le manque d’accès aux infrastructures publics et aux services publics. Seule une approche holistique peut prévenir de façon effective la violence sexuelle.
Par exemple, un facteur socioéconomique tel que le manque de puits d’eau potable dans les villages oblige les femmes à parcourir de longues distances pour ramener de l’eau et les expose à un grand risque de se faire attaquer. La disponibilité et l’accès à l’eau potable dans toutes les communautés auraient donc une influence considérable sur la sécurité des femmes.
CONFLIT ET RESSOURCES NATURELLES
Le conflit étant un facteur central dans la propagation des violences sexuelles, il est important de s’attaquer aux facteurs qui maintiennent ce conflit, dont l’extraction illégale de minéraux qui est un facteur important. Nous devons souligner que les minerais extraits en RDC alimentent l’industrie de l’électronique et donc alimentent les chaines d’approvisionnement des entreprises qui ont leurs sièges à l’étranger, et en dehors de l’Afrique. Il est ainsi important de reconnaitre une responsabilité collective dans la continuation du conflit ainsi que dans l’insécurité des femmes congolaises.
De plus, très souvent les femmes travaillent dans des conditions inhumaines, dangereuses et proches de l’esclavage pour extraire les minerais, mettant leur sécurité en danger.
La reconnaissance d’obligations extraterritoriales des États qui hébergent le siège de ces entreprises d’extraction envers les droits humains et en particulier, des femmes en RDC, contribuerait donc à contraindre les États et les entreprises à assurer une extraction légale conforme aux traités internationaux applicables sur les droits humains. L’élaboration d’un traité international sur les entreprises et les droits humains serait un pas important dans ce sens.
CIRCULATION D’ARMES À FEU
De nombreuses armes de petit calibre sont disponibles aujourd’hui non seulement dans les mains des groupes armés, mais aussi de la population civile. La menace avec une arme à feu est souvent utilisée afin de contraindre au viol.
Le Comité de la CEDEF a reconnu le lien entre la circulation d’armes de feu et la violence sexuelle dans les observations finales concernant le rapport unique valant sixième et septième rapports périodiques de la République démocratique du Congo :« Le Comité est extrêmement préoccupé par (…) le fait que le commerce des armes soit peu règlementé et la prolifération des armes légères et de petit calibre ainsi que les conséquences qui en découlent pour la sécurité des femmes; ».
INÉGALITÉ DES SEXES ET STÉRÉOTYPES
La stigmatisation et les stéréotypes jouent également un rôle décisif. Si la violence sexuelle est aujourd’hui une arme de guerre “effective”, ceci est du à la stigmatisation sociale des femmes ayant subi un viol. Si le viol était considéré au même titre que d’autres types de torture et que les survivantes des viols étaient respectées comme le sont les survivants de torture, cette tactique ne serait pas si destructrice pour la communauté.
Pour cette raison, nous saluons l’initiative de la Représentante personnelle du chef de l’État chargée de la lutte contre les violences sexuelles et le recrutement des enfants soldats de construire une mémoire collective. Nous encourageons le Gouvernement de la RDC à s’assurer que les survivantes des violences sexuelles trouvent leur place en tant que survivantes du conflit et soient reconnues et honorées au même titre que les survivants de torture. Des actes symboliques mettant à l’honneur la femme violée auraient non seulement un impact positif pour les survivantes, mais amoindrirait aussi le pouvoir de destruction des communautés par le viol et son effectivité comme arme de guerre.
Une politique préventive appropriée devrait prendre en compte tous les facteurs négatifs de façon globale, comme la lutte contre les stéréotypes de genre, la participation des femmes et leur autonomisation économique, la réduction de la circulation illicite d’armes légères, le combat contre la stigmatisation et l’impunité des auteurs de violences sexuelles.
De plus, les victimes de violence sexuelle liée au conflit doivent avoir accès à des services psychosociaux, à un soutien social et juridique et bénéficier d’initiatives économiques destinées à renforcer les capacités des femmes et à améliorer leurs conditions de vie. Enfin, il y a un besoin urgent de renforcer les mécanismes de prévention et d’alerte précoce afin d’assurer la protection des droits des femmes pendant le conflit.
PARTICIPATION DES FEMMES DANS LA VIE POLITIQUE
Les femmes et les filles sont souvent uniquement perçues comme des victimes et le rôle crucial qu’elles peuvent jouer pour mettre fin à l’impunité des crimes liés à la violence sexuelle est souvent ignoré. La participation des femmes et des expertes du genre dans la résolution des conflits, au sein d’instances décisionnelles et dans l’élaboration des politiques peut réduire efficacement l’impunité, notamment dans le cas de violences sexuelles et également favoriser l’accès à la justice. Nous accueillons la nouvelle Commission des Droits de l’Homme ainsi que la répartition paritaire de membres femmes au sein de la Commission. Nous regrettons en revanche l’absence de femmes au sein de la Cour Constitutionnelle et encourageons le gouvernement de la RDC à nominer dans un futur proche des membres femmes.
Nous saluons également la création du Secrétariat National de la Résolution 1325 avec la participation de la société civile dont la section congolaise de WILPF fait partie et encourageons le gouvernement à se donner les moyens d’assurer une mise en œuvre effective du Plan d’Action National.
RAPPORT CEDEF
Nous rappelons que la RDC est appelée à soumettre dès que possible le rapport de Suivi des observations finales du Comité pour l’Élimination de la Discrimination Envers les Femmes comme demandé par le Comité dans ses observations finales concernant le rapport unique valant sixième et septième rapports périodiques de la République Démocratique du Congo.
En conclusion, nous demandons à ce que les recommandations suivantes, émises lors des sessions de l’EPU (I) et du CEDEF (II), soient reconsidérées:
- Mettre en œuvre efficacement la loi de 2006 sur la violence sexuelle et la «politique de tolérance zéro»;
- Etablir des enquêtes efficaces, y compris dans les allégations de viols utilisés en tant qu’arme de guerre, et la poursuite judiciaire des auteurs de violences sexuelles, y compris les soldats du FARDC, sans exception ou prise en compte du rang militaire;
- Renforcer les efforts pour combattre l’impunité à l’égard de toutes les formes de violence contre les femmes.
- Prévenir la violence basée sur le genre, notamment la violence sexuelle, perpétrée par l’Etat ou les acteurs non-étatiques dans les zones de conflit; assurer la protection des civils, y compris les femmes, en coopération avec le MONUSCO; initier des formations pour la sensibilisation au genre et adopter des codes de conduite pour la police et le personnel militaire; et former les psychologues et professionnels de la santé;
- Faire de la lutte contre l’impunité dans les cas de violence sexuelle en zones de conflit une priorité; mener rapidement des enquêtes indépendantes sur les violations des droits des femmes commises par l’armée congolaise (FARDC) et d’autres groupes, et poursuivre les auteurs de ces actes, y compris s’ils détiennent des postes de pouvoir;
- Etablir un système de vérification permettant de garantir qu’aucun auteur de violations des droits humains, y compris des droits des femmes, ne puisse maintenir sa position dans l’armée ou la police, ou être réintégré dans l’armée, notamment lors des négociations de paix avec des groupes armés;
- Mettre en œuvre de façon efficace le Plan d’Action National sur la résolution 1325 du Conseil de Sécurité; établir une politique nationale compréhensive pour dédommager les victimes des violences sexuelles;
- Assurer la régulation du commerce des armes, contrôler la circulation illicite des armes légères et ratifier le Traité International sur le Commerce des Armes 2013;
- Renforcer significativement l’inclusion et la représentation des femmes dans les processus de négociation pour la paix et assurer leur représentation dans les comités de sécurité provinciaux;
- Assurer une mise en œuvre compréhensive de la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de l’ONU.