28 Juin 2018
Déclaration pour l’adoption de l’Examen Périodique Universel de la France
de la Ligue Internationale de Femmes pour la Paix et la Liberté
38ème session du Conseil des droits de l’Homme (18 juin au 6 juillet 2018)
Point 6 de l’agenda : Examen Périodique Universel
Transferts d’armes
WILPF salue l’acceptation par la France de la recommandation 145.31 : « s’abstenir de transférer des armes classiques lorsqu’elles peuvent être utilisées pour commettre des violations des droits de l’Homme ou du droit international humanitaire, conformément aux obligations que lui impose le Traité sur le commerce des armes et conformément à la cible 16.4 des objectifs de développement durable (Panama) ».
Cette acceptation est conforme aux obligations de la France en tant qu’Etat partie au Traité sur le commerce des armes (TCA), notamment en vertu de ses articles 6 et 7, et en tant qu’Etat partie à des traités sur les droits humains. Elle est également cohérente avec les obligations de la France en vertu de la Position commune de l’UE sur les exportations d’armes. L’engagement exprimé par la France d’entreprendre de rigoureuses évaluations avant d’autoriser tout transfert d’armes est cependant en contradiction avec la poursuite de transferts d’armes à destination de plusieurs pays impliqués dans la coalition engagée depuis mars 2015 dans les bombardements du Yémen, dont principalement l’Arabie Saoudite[1].
L’indignation publique prend de l’ampleur en France – 75% des Français souhaitent que le gouvernement français cesse de vendre des armes aux pays impliqués dans la coalition au Yémen – et le gouvernement français fait actuellement l’objet d’un contentieux quant à la légalité de ses autorisations d’exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite[2]. Le Parlement Européen a aussi demandé, à plusieurs reprises la mise en place d’un embargo au niveau européen sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. Des pays tels que la Norvège et l’Allemagne ont récemment décidé de suspendre leurs transferts d’armes vers l’Arabie Saoudite compte tenu des risques de violations du droit international y étant associés[3].
Néanmoins, les transferts d’armes de la France vers l’Arabie Saoudite continuent sans répit, et ce, malgré le risque significatif que des armes françaises soient utilisées par la Coalition dans des actes pouvant constituer des violations du droit international humanitaire et du droit international des droits humains au Yémen[4]. Les frappes aériennes de la Coalition continuent d’être la cause principale des victimes civiles. Entre le 26 mars 2015 et le 10 mai 2018, le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme a documenté un total de 16’432 pertes victimes civiles. La vaste majorité d’entre elles – à savoir 10’185 victimes – ont été causées par les frappes aériennes effectuées par la Coalition menée par l’Arabie Saoudite[5].
En avril 2018, le Président Macron a déclaré lors d’une conférence de presse avec le prince héritier saoudien que : « toute vente de matériel militaire est soumise à une analyse au cas par cas et sur la base de critères renforcés qui tiennent comptent du respect du droit international humanitaire et des risques de dommage sur les populations civiles »[6]. Combien de décès causés par les frappes de la Coalition au Yémen doivent-ils être encore documentés avant que le gouvernement français identifie un risque de dommage ?
Nous exhortons dès lors le gouvernement français à mettre en œuvre de manière effective la recommandation de l’EPU susmentionnée et :
- D’ immédiatement cesser ses transferts d’armes vers l’Arabie Saoudite et vers les autres pays où l’exportation de ces armes pourrait servir à commettre une violation grave du droit international humanitaire ou du droit international des droits humains ou à en faciliter la commission ;
- De réaliser systématiquement des contrôles a posteriori des licences d’exportation d’armes avec tous les pays où il y a des indications de violations des droits humains et/ou du droit international humanitaire ;
- De prendre dûment en compte les recommandations du rapport du HCDH sur l’« Incidence des transferts d’armes sur les droits de l’Homme » ainsi que celles des autres organes des droits humains des Nations Unies pour assurer des évaluations des risques en matière de droits humains vérifiables, transparentes et qui prennent pleinement en compte la dimension genrée de l’impact des exportations d’armes sur les droits humains[7];
- De s’assurer que les entreprises du secteur de l’armement mettent pleinement en œuvre leurs obligations en vertu de la loi 2017-399 sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre adoptée en France, en menant des évaluations rigoureuses et transparentes des risques en matière de droits humains liés à leurs activités[8].
Indemnisation des victimes des essais nucléaires français
WILPF salue également l’acceptation de la recommandation 145.97 pour « veiller à ce que les victimes des essais nucléaires en Polynésie française soient indemnisées, conformément aux observations du Comité pour l’élimination de la discrimination l’égard des femmes et du Comité des droits de l’Homme (Panama) ». WILPF appelle le gouvernement français à s’assurer que le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) prenne en compte les impacts spécifiques des essais nucléaires sur les femmes de Polynésie française et accélère le traitement des réclamations d’indemnisation des victimes, fournisse une assistance prenant en considération l’âge et le sexe, sans discrimination, y compris des soins médicaux, une réadaptation et un soutien psychologique, ainsi qu’une insertion sociale et économique. Le gouvernement devrait aussi prendre les mesures nécessaires en vue de la remise en état de l’environnement des zones ainsi contaminées.[9]
[1] . « Rafale : le contrat avec le Qatar pour la vente de 24 chasseurs est effectif », Le Parisien, 17 décembre 2015, http://www.leparisien.fr/international/rafale-le-contrat-avec-le-qatar-pour-la-vente-de-24-chasseurs-est-effectif-17-12-2015-5381257.php; C. ALTEMEYER, E. JARRY,« Le Qatar achète 24 Rafale et des missiles pour 6,3 mds », Les Échos investir, 30 avril 2015, https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/le-qatar-achete-24-rafale-et-des-missiles-pour-6-3-milliards-1047898.php; V. LAMIGEON, « Rafale, blindés VBCI: le Qatar, le nouveau paradis des vendeurs d’armes français », Challenges, 7 décembre 2017, https://www.challenges.fr/entreprise/defense/rafale-blindes-vbci-le-qatar-nouveau-paradis-des-vendeurs-d-armes-francais_518447; « L’Egypte a réceptionné la totalité de ses Rafale EM », Defens Aero, 1er décembre 2017, http://www.defens-aero.com/2017/11/egypte-receptionne-totalite-rafale-em.html; Rapport au Parlement 2017 sur les exportations d’armement de la France, Ministère des Armées, Annexe 13
[2] http://www.liberation.fr/politiques/2018/03/20/la-france-rattrapee-par-ses-ventes-d-armes-a-l-arabie-saoudite_1637596; https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/yemen-3-francais-sur-4-pour-la-suspension-des-ventes-darmes
[3] Résolution du Parlement européen du 13 septembre 2017 sur les exportations d’armements : mise en oeuvre de la Position commune 2008/944/PESC (2017/2029(INI)), http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2017-0344+0+DOC+XML+V0//FR; « Yémen : les députés réitèrent leur appel à un embargo européen sur les armes à
[4] With respect to the Arms Trade Treaty, it is important to underscore that risk assessments assess just that – the risk that the arms in question will be used in any of the ways prohibited by the Treaty. It is not necessary to establish the direct presence of a transferred item as having been used in a specific act in order to prevent future transfers of the same item. If the risk alone is high enough, the transfer must be denied.
[5]https://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23071&LangID=E
[6] https://www.reuters.com/article/us-france-saudi-yemen/frances-macron-defends-saudi-arms-sales-to-hold-yemen-conference-idUSKBN1HH30P
[7] http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/35/8
[8] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte
[9] Voir l’article 6 Assistance aux victimes et remise en état de l’environnement du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires